samedi 20 juillet 2019

Hommage à Colette Goujon… Une habitante de Damville

Damville : Mme Colette Goujon nous a quittés.

C'est en toute discrétion qu'ont eu lieu ses obsèques, mardi le 16 juillet 2019, en l'Eglise St-Evroult de Damville.
Je tiens à lui rendre un hommage mérité.

Colette Goujon était une personne discrète, elle a vécu les dernières années de sa vie au Village-Retraite de Damville.
Je ne vais pas revenir ici sur ses années de jeunesse qui furent tourmentées, étant née dans une famille de gens du voyage : elle m'avait montré, dans son vieil album de photos, des images où l'on voit ses parents au côté de leur antique roulotte en bois, tractée par un cheval… Une vie rude, m'avait-elle dit, et pourtant heureuse.

Colette Goujon et sa famille de circassiens avaient échappé par miracle aux rafles policières du régime de Vichy dont on connaît les lamentables exactions. La vie ne fut pas facile pour cette famille qui a vécu longtemps en marge, subissant l'ostracisme bien-pensant, alourdi par d'innombrables et tenaces préjugés.

Quand nous sommes arrivés d'Espagne, en 1992 pour nous installer à Damville, avec ma tante, l'Écrivain Mme Dominique Aubier, nous nous sommes installés aux Minières. Nous recherchions une employée de maison. Je me souviens que plusieurs personnes bien intentionnées nous avaient déconseillés formellement d'engager Colette Goujon… « Compte-tenu du fait que… »
— Compte-tenu du fait que quoi, avait répondu Mme Aubier. Compte-tenu des préjugés ? Des préjugés fondés sur quoi ?
Sur des rumeurs ? Sur des preuves ? Sur des suspicions ? Ou plutôt sur un délire ?

C'est donc précisément pour couper court à ces insinuations que nous avons engagé Colette Goujon, qui résidait, elle aussi, aux Minières, avec son frère que tout le monde appelait « P'tit Claude ». Un brave garçon qui avait la main sur le cœur et qui nous a rendu bien des services.

Nous n'avons jamais été déçus.
Pendant plus de 10 ans, jusqu'à sa retraite, Colette Goujon a travaillé pour nous. Toujours à l'heure, pas une seule absence. Scrupuleuse et de confiance, elle soignait son travail et entourait Mme Aubier d'une grande gentillesse dans ses rapports au quotidien.
Et moi, je m'entendais fort bien avec elle.
J'appréciais son sens de l'humour et son franc-parler.
Elle en a vu passer, du « beau monde » dans cette maison : artistes, peintres, cinéastes, scientifiques, chercheurs, journalistes… Et tel député, sénateur, et même… ministre qui a pu s'entendre dire que oui, c'est une fille des gens du voyage qui vient de lui servir le thé et le gâteau qu'elle a elle-même préparé, et qu'il serait peut-être temps de réfléchir à un meilleur respect de ces concitoyens qui continuent de subir d'invraisemblables ségrégations.

J'ai apprécié, pendant toutes ces années, l'élégance de Colette Goujon, le recul avec lequel elle parlait de sa vie : elle trouvait que finalement, c'était un destin qui s'écrivait là, estimant que c'était un privilège exceptionnel que la vie lui avait réservé, que de pouvoir travailler dans la maison d'un écrivain. Colette Goujon n'était guère lettrée, mais elle avait un grand cœur, et quand Dominique Aubier, spécialiste de Cervantès, lui avait expliqué « le secret de Don Quichotte » elle avait dit, je m'en souviens : « Votre Don Quichotte, Madame, il me plaît que j'aimerais bien le rencontrer… »

Colette Goujon fait partie de ceux que les médias appellent les « anonymes ». Est-ce être anonyme que vivre dans la modestie silencieuse ?
Colette Goujon était un être transparent habité d'une belle lumière. 
Je la remercie d'avoir été une amie.

P.S. Je ne publie pas ici de photo d'elle, car elle n'aurait pas aimé s'afficher à la vue de tous… 

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