lundi 5 février 2018

A quoi rêve Mesnil sur Iton ? A quoi rêve Damville ?

A QUOI REVE MESNILS SUR ITON. 

Début février, pendant une semaine, la Troupe d'Artistes Eskandar enquête à Mesnils-sur- Iton pour rencontrer sa population… et ses rêves.
Le « Collectif », sous la plume attentive de l'auteur Samuel Gallet, a investi Damville pour recueillir les rêves de ses habitants afin de composer, à partir de ce relevé, une pièce qui sera prochainement jouée sur scène.

L'initiative me semble salutaire de consulter les habitants d'un lieu pour qu'ils s'expriment. Contrairement au référendum populaire sondant l'opinion sur un sujet donné, ici ce sont les habitants qui indiqueront aux interrogateurs le fruit de leur propre questionnement onirique. « Expose ton rêve… et je te dirai qui tu es ». Encore faut-il l'interpréter pleinement et en restituer le sens…

Les uns rêvent de gagner au Loto, les autres de retrouver l'ami perdu. D'autres encore rêvent d'une belle voiture. Faisons la distinction touchant au mot « rêve ». Pour les uns c'est une manière d'exprimer un désir intense inassouvi : je rêve de manger un dessert géant. Pour les autres, le rêve correspond à l'activité mentale inconsciente se manifestant au cours du sommeil.

A quoi rêve Mesnil sur Iton ? Gagner au Loto ou Grand rêve cosmique ?
Quels sont les véritables rêves des habitants de Damville, Gouville, Condé et autres communes composant Mesnils-sur-Iton  ?

S'il s'agit, dans ce projet artistique, de collationner les récits oniriques, la difficulté résidera, dans un second temps, à transposer sur scène ces narrations forcément symboliques. N'est-ce pas là la technique du projet, de se nourrir des symboles tirés des rêves et les reprojeter ou réinterpréter sur scène sous forme d'allégorie théâtrale ?

Le rêve est un matériau riche, qui implique, selon le psychanalyste Jung une lourde responsabilité humaine, devant être pleinement compris. Car lire les rêves aussi bien ceux d'une personne que de ceux toute une population, en décrypter le symbolisme et en dégager le sens n'est pas une mince affaire :  il faut maîtriser une technique éprouvée pour discerner, dans le vocabulaire des images rêvées, la portée du sens cherchant à s'évacuer.

C'est même tout un pan de la psychanalyse mise au point par Sigmund Freud dans son célèbre ouvrage l'interprétation des rêves auquel il aura travaillé jusqu'à la fin de sa vie. Selon lui, tout rêve appelle à son élucidation, à la libération du sens dissimulé sous le masque des images oniriques couvrant de leur voile les mots, la vérité indicible à laquelle il faut tendre.


Aussi, pour ce qui est de la démarche de la troupe de théâtre que je salue bien chaleureusement, une remarque pourrait être faite — et ce n'est pas une objection, mais un apport que je souhaite positif à la réflexion des Artistes : les rêves s'expriment sous forme de symboles devant être sondés et décodés. Reprendre ces rêves et les mettre en scène théâtrale est sans doute un exercice intéressant… pour les Artistes, mais le théâtre étant lui-même un art de la représentation, on en arrive à une seconde refonte de type allégorique de ce qui était symbolique… Le procédé est certes séduisant et tout espiègle qu'il soit, il présente une aspérité du point du vue intellectuel, car reverser un symbole dans l'allégorie n'en explicite par pour autant le sens. S'il satisfera la curiosité du rêveur qui reconnaîtra sur scène une parcelle du songe réinterprété, il ne lui donnera en aucun cas la clé ouvrant les énigmes que l'inconscient aura posées.
Même joué sur scène, le rêve demeure en-deça du sens auquel il appelle : dans la mesure où le rêve réclame son élucidation complète, la représentation théâtrale ne peut être qu'un intermédiaire dans l'attente d'un dégagement explicite. Ce dévoilement total du sens sera-t-il assumé ? Et par qui ? Car se raconter ses rêves est une chose. Les décrypter et en dire le sens en est une tout autre. Il se pourrait même que le maintien du rêve en-deça de son dévoilement ait pour effet d'épaissir la muraille le séparant de la pleine lucidité consciente dont nous tant besoin…

Le célèbre psychanalyste suisse  C.G Jung a discerné plusieurs types de rêves : il existe d'une part les rêves — les petits rêves — en relation avec notre menu quotidien. Nous en faisons tous, tel l'enfant qui rêvera du Coca dont il a été privé. Ou des rêves de compensation venant soulager notre inconscient d'un manque dont notre vie pourrait être frappée… Mais il existe également les grands rêves. Jung s'était aperçu que la plupart des personnes qui venaient le consulter produisaient en effet des rêves dépassant tout à fait leur personnalité ou le cadre de leur existence habituelle. Spécialiste des traditions médiévales et de l'Alchimie, il se rendit compte que nombre de rêves modernes, donc de notre époque à haute technologie, ne différaient pas de ceux qui venaient peupler les songes de nos ancêtres ayant vécu il y a des siècles.
Il avait ainsi distingué les grands rêves archétypaux, où l'esprit projette sur l'écran de sa visualisation des images symboliques représentant sa propre structure cérébrale.
L'écrivain Dominique Aubier, auteure du livre « La Face cachée du Cerveau » rejoint et complète la thèse de Jung en précisant que « lors de ces rêves, c'est le cerveau qui se rêve lui-même, cherchant à se faire comprendre par l'intéressé. Il produit ainsi des images symboliques évoquant sa propre structuration, son propre système interne de fonctionnement. D'où la production d'archétypes cérébraux, mais toujours sous forme symbolique. »

Et puis, il existe encore une autre sorte de rêve, observait D. Aubier (dont nous rappelons qu'elle résidait justement à Damville pendant les dernières années de sa vie) ; « dans Révélation, il y a "rêve". Il existe donc quantité de rêves humains au cours desquels s'exprime une révélation venant non pas du rêveur, mais d'un Au-delà qui utilise le rêveur comme média pour s'exprimer. En réalité, nous sommes rêvés et nous sommes le rêve d'une puissance qui nous pense. Tout ramener à nous-même, à notre égo, est une forme de naïveté, alors que le cosmos tout entier est constamment à l'œuvre… »

« Nous sommes les sujets du rêve, et bien peu les acteurs de ce qui se rêve en nous », expliquait-elle. Poursuivant en substance : certes, l'esprit n'est pas toujours disponible pour recevoir cette pensée. Mais la force du Verbe est telle qu'elle s'insinue dans l'esprit de tout être par toutes les brèches : y compris dans celles d'une pensée conditionnée par le matérialisme le plus épais. Ce Verbe génère les images oniriques, transperce les barrières érigées par la pensée analytique et linéaire, ébranle le rationalisme et inonde l'inconscient. — Ou même la conscience éveillée dès lors que la personne aura su se dégager de la coercition ratiocinante : c'est le cas des grands éveillés, des initiés pour qui la vie, le réel, le rêve forment une seule unité cohérente. Pour eux, l'instant présent est déjà l'expression du rêve qu'un rêveur invisible a conçu pour nous.

J'abonde pleinement dans ce sens : nous sommes sujets des rêves et peu acteurs.

Les grands rêves cosmiques ne manquent pas de tomber, comme la neige d'hiver, sur le sol gelé de nos espaces mentaux ayant besoin de cette fertilisation. L'homme devient alors le récepteur de la pensée de l'Invisible désirant se faire connaître. C'est ce que met en scène le film chinois « Pluie de Lumière sur la Montagne Vide » : la montagne vide, c'est l'esprit de l'homme ayant « nettoyé son bol ». La montagne est vide quand l'égo se dissout et que l'être rabote ses humeurs et aspérités psychologiques. La montagne vide, c'est l'être vidé de son « moi » égotique, laissant place au grand « Moi » cosmique. La pluie de lumière dès lors peut se répandre sur l'esprit humain disposé à recevoir.
Recevoir, c'est la grande affaire : accepter de recevoir cette grâce qui nous pense…
Nous recevons ces rêves où l'Invisible se donne en surabondance. C'est nous qui formons problème, en ce que nous ne savons pas recevoir. Je rejoins en ce sens le théologien Joseph Ratzinger, l'ancien pape Benoît XVI qui écrit dans son livre Foi chrétienne d'hier et d'aujourd'hui, que « l'Invisible, loin d'être irréel, constitue au contraire la véritable réalité, fondement et racine de toutes les autres réalités ». Cet Invisible nous rêve plus grand que nous ne sommes, et c'est Son rêve qui nous grandit et nous tire vers Lui.

Je ne doute pas qu'à Mesnils-sur-Iton, plus d'un habitant reçoive, dans ses voyages oniriques, les émanations du grand Invisible dont la pensée est à l'origine même du monde. 

« Tout est Pensée » et ce grand « Tout » ne cesse de dispenser son Amour universel pour nous mener vers Son projet qui est d'être connu de nous, afin d'établir un dialogue permanent entre l'humain et l'Invisible.
Ce n'est donc pas ici la devise du philosophe Blaise Pascal, fondatrice de toute une branche de la philosophie moderne avec son fameux « Je pense donc je suis » qui l'emporte, mais tout au contraire : « Je suis pensé, donc je suis, car c'est de cet Universel qui me pense que je tire mon existence. »
J'en ai déduit : « Je suis rêvé, et donc je suis ».

Je suis… en route vers le Grand Tout qui m'accorde le privilège de m'envoyer Son rêve… Il me reste encore la tâche difficile d'apprendre et accepter de le recevoir.

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